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L’imaginaire de la Beauté

Portée par la Biologie et la Philosophie, la Beauté peut inspirer l’Imaginaire à travers des contes, des nouvelles et des romans

Le manuscrit

Éphèse. La cité Femme&Mystères@Beauté. _5 _ Le Manuscrit

 

      « Quand la Beauté disparaîtra, le monde s’écroulera. 

Craignant que cette très vieille prophétie ne soit en train de se réaliser, avant que le monde qui est le mien ne s’écroule, j’ai voulu témoigner de bonne foi de ce qu’était le monde d’autrefois »

        Je m’appelle Euphrosine, fille d’Olbia, une Lydienne, clerc chez un notaire scribe à Patara et de Miliade, un Lycien, son époux, maître d’école, également à Patara, en Lycie.

Bien que Lycienne, je remercie mes parents de m’avoir donné un prénom grec. Euphrosine, c’est la joie de vivre, le courage et la confiance, tous ces attributs m’ont été souvent utiles dans mon métier. Je suis médecin. »[1]

 

[1] Une femme a réellement exercé la médecine à Éphèse, sa statue est encore visible à Éphèse sur la voie des Courètes. Curieusement, j’en ai découvert l’existence qu’après avoir créé le personnage d’Euphrosine.
La pratique de la médecine par des femmes était courante, au moins en Asie et en Égypte.
Une Lycienne, Antiochis, est saluée par Galien pour la mise au point d’un médicament efficace sur les rhumatismes et la sciatique.
La première Française à soutenir un doctorat de médecine fut Madeleine Brès en 1875. Elle avait été précédée à la faculté de médecine de Paris par une anglaise, Elizabeth Garrett, et une américaine, Mary Putnam.

      Pour faire apprécier la justesse de son hypothèse, le jeune lettré cherche du regard celui de l’Entu.

         Théophile a été transféré avec le manuscrit d’Euphrosine dans cette cellule où il pourra étudier dans le calme et la sérénité. Il est assis sur un tabouret devant la table où ont été regroupés les différents rouleaux du manuscrit. Le protocole a pu être assoupli. C’est derrière lui, debout, gardant ainsi sa position de supériorité, qu’elle suit du regard le travail du savant.

        Dans son mouvement, pour chercher un regard qu’il veut admiratif, le jeune lettré tourne la tête. Et avant de rencontrer le regard espéré, c’est sur des seins que ses yeux tombent. Il ne s’agit pas d’une invitation. Pas encore.

      Cette nudité partielle est celle de la tenue sacerdotale. Entre les pieds chaussés de phaecasia et la tête couverte de la haute coiffe à épervier, une entu, grande prêtresse du rang le plus élevé de l’Artémiseîon, porte une jupe et un bustier. La jupe est suffisamment longue pour que, contrairement aux Éphésiennes, son long chiton ne dépasse pas, ou à peine.

         De position pectorale, et de volume, raisonnable, ces seins, leurs aréoles brunes et leurs tétons dressés, sont en parfait accord avec le menton volontaire de l’Entu. Offerts à la vue, ces seins glorifient la fécondité. Une quelconque émotion qu’aurait pu provoquer cette nudité chez le savant alexandrin aurait été, dès le départ, radiée par le port altier et sévère de la prêtresse[1].

 

[1] Les habits sacerdotaux des Entu, grandes prêtresses, m’ont été inspirés de récits et des vêtements portés par les Crétoises (voir figure) ; sachant que les Crétois seraient d’origine anatolienne et plus spécifiquement carienne, province proche d’Éphèse.

        Absorbé par ses réflexions, le jeune lettré avait oublié le peu de distance entre ces mamelons et son visage. Il avait pourtant déjà failli les frôler quand l’Entu s’était approchée pour mieux lire le mot que Théophile lui montrait de son index tendu vers la lettre lycienne.

Cette fois la rencontre a lieu. Lèvre contre téton. Le grand savant en oublie la raison de son mouvement.
Sa quête de reconnaissance devant son érudition s’est évanouie.
Les yeux de la dignité sacerdotale ne rencontrent qu’un regard vide.
La prêtresse se contente d’un hochement de tête approbateur, ajuste sa coiffe à épervier et sort, laissant le savant à sa lecture.

      Elle reviendra plus tard. Derrière elle, les yeux de Théophile restent longtemps figés vers les hauteurs, celles des pensées. Celles-ci contiennent l’image ténue d’autres seins, ceux qu’il a rencontrés à Alexandrie, ceux d’une autre médecin, ou future médecin, sa Hatchi.
Cette coïncidence fait soudain gagner à ce manuscrit de nombreux degrés d’intérêt pour le jeune savant égyptien.

« Dans ces mémoires, je n'y ai mis nulle considération de ma gloire, je voudrais qu’ils soient simplement un témoignage. Je n’ai ni la sagesse singulière d’Héraclite, ni la virtuosité poétique de Kallinos, ni l’humour acéré d’Hipponax[1] mais comme ce dernier mon écriture sera réaliste. J’utiliserai parfois des termes très crus, comme ceux que j’utilise dans mes fonctions.

 

[1] Héraclite est un « philosophe présocratique » souvent cité dans ce roman, Kallinos et Hipponax sont deux écrivains. Tous les trois sont Éphésiens.

 Le temps dont je dispose, je l’ignore. Je vais écrire, ne pas cesser d’écrire. Je demande par avance l’indulgence du lecteur si les souvenirs de ma longue, très longue vie vacillent parfois.

Le latin, et le grec, sont les langues que j’ai le plus utilisées tout au long de ma longue vie à Éphèse ; je connais aussi le lydien que parlait ma mère et un peu de l’araméen qu’utilisait jadis le pouvoir perse, mais comme j’ai vécu toute ma jeunesse à Patara, c’est le lycien que je vais utiliser pour écrire mes mémoires. 

 
Lycie     

 

      Théophile fait rapidement le point sur ce qu’il sait de la Lycie. Naturellement livresque puisque c’est la première fois qu’il quitte Alexandrie. Comme presque tout ce qu’il sait, le jeune lettré l’a lu.

Il se souvient d’avoir lu que la Lycie est située au Sud Est d’Éphèse. Capitale Patara. Non, il se reprend, Xanthus a d’abord été la capitale, puis ce fut Patara.

Patara ville natale de Niké Laos.

Après s’être recueilli quelques instants à la mémoire de celui qui allait devenir Saint Nicolas, Théophile continue l’engrenage de son érudition.

C’est Myra, qui est récemment été promue comme capitale de cette province romaine. Myra l’évêché de Saint Nicolas.

La Lycie fait partie de l’empire romain depuis Claude. Rattachée administrativement à la Pamphylie, elle vient d’en être de nouveau séparée.

Voilà pour la situation actuelle : peu de chose, et encore, il n’en est pas certain. Est-ce la Lycie du manuscrit ? Il espère le savoir en continuant sa lecture.

« J’ai soutenu mon doctorat sous la direction du professeur Soranos. Ce fut un très grand honneur d’avoir comme maître ce médecin gynécologue dont Éphèse est si fier. 

Les étudiantes en « médecine des femmes » avaient coutume d’être sollicitées pour examiner les pèlerines. Celles-ci venaient à Éphèse pour des problèmes de stérilité et nous devions prescrire le traitement le mieux adapté à la liturgie du temple.
La précision de mes observations, la sûreté de mon diagnostic, peut-être le nombre de langues que je pratique, et plus certainement ma bonne humeur m’ont rapidement fait apprécier par les prêtresses.

Mon témoignage sur le monde qui est en train de disparaître commence par la dernière fête de Norouz[1], celle que j’ai passée à Patara, où je suis née.

Il y avait dix-huit ans que j’y étais née quand, l’année suivante, je partais à Éphèse, commencer mes études de médecine, et retrouver Tlos.

J’ai indiqué qui étaient mes parents, je me dois de présenter le reste de ma famille. Ils étaient tous réunis autour de ma grand-mère pour fêter la fête de printemps.

       Commençons donc par grand-mère, Œnoanda de la famille des Sydyma. Jadis juriste renommée, libre de toute fonction élective, elle nous câlinait et nous régalait avec ses ragoûts, notamment de son fameux coq au vin. Mon grand-père avait rejoint les dieux éternels l’année précédente. Je n’ai pas connu mes autres grands-parents. Je n’ai plus que l’Œnoanda que j’aime.

        Ma tante Nisa est la sœur de mon père, son aînée. Présidente de la guilde des sculpteurs de Patara, elle dirige une petite entreprise d’art funéraire spécialisée dans les tombes en pierre ayant l’apparence du bois. Elle sait aussi parfaitement sculpter l’étoile lycienne à trois branches. Ses panneaux où se mêlent feuillages, fleurs et coquillages commencent à être apprécié dans le monde entier.

Son époux, Agasiklès, avait repris avec talent et fermeté le négoce de son beau-père, feu mon grand-père. Il avait su y adjoindre les plantes aromatiques et des parfums, art dans lequel il m’avait un peu initié, j’avais ainsi appris comment harmoniser des notes de tête, de cœur et de fond. Par son père, cet oncle est d’origine carienne, plus exactement d'Halicarnasse[2], patrie d’Hérodote et de Mausole.

       Ma cousine Gelidonia est l’aînée des quatre enfants de Nisa et d’Agasiklès. Ses deux ans de plus que moi concentrent mon admiration jalouse.

       Le, beaucoup, plus jeune frère de mon père, Telmessos est le voyageur de la famille. Il parcourait les mers et les routes pour le compte d’Agasiklès. C’est à l’occasion d’un voyage en Grèce qu’il a connu son épouse Anthéa.

 

        Patara est un prospère petit port situé à l’embouchure du fleuve Xanthe, à l’Ouest de la Lycie[3].

       Mon père, Miliade, avait coutume de dire que notre pays est une montagne qui se jette dans la mer. Elle s’y jette de très haut, de plus de quinze stades[4].

Mon pays est âpre et sauvage. Quand l’hiver, les loups rodent autour des cités, nous demandons la protection de notre Apollon Lykeios, le dieu-loup.

 

[1] Norouz : Fête de printemps d’origine persane.

[2] Actuel Bodrum, Sud-Ouest de la Turquie, face à la mer Égée.

[3] Sud de l’Anatolie actuelle.

[4] 3000 m environ

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