L’Empire de l’ombre. Les Œufs noirs

Résumé du début

L’Empire de l’ombre règne. Il est interdit de bronzer et même de s'exposer au soleil. La société est hiérarchisée en Têtes d'or, l’oligarchie des dignitaires ; les Têtes blanches, les cadres de l’empire ; les Têtes vertes, la police et l'armée. Ils doivent leurs noms aux cagoules (et lunettes) qu'ils portent en permanence. Le peuple ne porte pas de cagoule, seulement des lunettes.

Extrait :

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Avant l’Empire de l’ombre, quelques philosophes avaient dénoncé les transports en commun comme des instruments de servitude et de dépersonnalisation des individus.

Incapables de rendre les transports en commun sûrs et efficaces, sans pannes, ni grèves, après s’être longuement concertés, les Tètes dorées avaient décidé de renoncer à cet instrument de leur pouvoir. En toute démagogie, ils s’étaient présentés comme voulant être ceux qui abolissent la servitude et la dépersonnalisation, en imposant, pour l’amour de leurs sujets, un nouveau système de déplacement urbain.

De leur côté, les automobilistes avaient renoncé à la voiture comme marque extérieure de réussite sociale, au moins en ville.

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Les véhicules individuels à une roue font maintenant partie du paysage routier urbain. Ils sont appelés les "Œufs noirs" bien qu'ils ressemblent plus à des grosses poires. De l’intérieur la carrosserie est transparente et permet au conducteur une vision complète de l’espace autour de lui.

Le noir, ou plutôt un mélange de marrons foncés est le résultat d’une irisation sur des cristaux liquides inclus dans toute l’épaisseur de la carrosserie y compris les vitres.

Toute la carrosserie, vitres, tableau de bord, et même le siège sont en réalité des condensateurs qui permettent le stockage de l’énergie.

Ils ont été construits sur le modèle des bicouches de lipides qui retiennent l’eau dans le corps, ou plus exactement qui permettent la gestion de la perte insensible en eau. La myéline qui entoure les axones nerveux a permis de parfaire le biomimétisme. Très hydrophobes en leur centre, ces bicouches de cristaux liquides sont d’excellents isolants électriques, comme il convient pour fabriquer des condensateurs.

​ Ces lipides, pour l’essentiel du cholestérol, des céramides et des acides gras, forment des cristaux qui, même dans la dimension où ils sont liquides, ont la viscosité d’un pseudo gel qui leur confère une grande stabilité. D’épaisseur moléculaire, ces bicouches permettent de couvrir une très grandes surfaces et par la même de construire des condensateurs électriques très performants.

Comme les batteries de jadis, les condensateurs à cristaux liquides restent un art et demande un tour de main que seule une entreprise de l’Empire maîtrise.

Sans que les scientifiques aient expliqué exactement pourquoi, empilés en plusieurs millions de couches, ces cristaux liquides restent transparents d’un coté mais presque noir sur l’autre face.

Tout aussi inexplicable, mais propriété indispensable dans l’Empire de l’ombre, ces condensateurs filtrent tous les UV. Aucun rayonnement ultraviolet n’entre dans l’habitacle On ne bronze pas à l’intérieur des Œufs noirs.

      Le conducteur est assis dans un siège au dessus de la roue. Le moteur est directement dans l’axe de la roue. Le moyeu est en matériaux biomimétiques constitué de faisceaux de plusieurs millions de fibres dont la conception a été inspirée du muscle. La déformation du moyeu permet de modifier la trajectoire du véhicule et de le maintenir avec la bonne inclinaison par rapport à la route.

Un groupe plus ou moins grand de fibres se rétractent quand elles sont stimulées par un signal électrique. En absence de stimulation, elles reprennent naturellement leur position initiale, et la ligne droite pour l’Œuf noir.

Les fibres réagissent extrêmement vite - moins d'un millième de seconde - et reviennent à leur longueur d'origine en environ un dixième de seconde.

     Même si les plus anciens ont préféré conserver le volant, le conducteur pilote son véhicule à l'aide d'un joystick semblable à celui des aéroplanes.

    À l'arrêt, à très faible vitesse, ou pour manœuvrer sur un parking, quatre petites roues se déplient comme le train d'atterrissage d'avion pour stabiliser le véhicule. Quand la vitesse est suffisante, les petites roues se replient, Œuf noir devient une sorte de motocyclette carénée

Comme dans les anciennes Isetta, il n’y a qu’une portière, c’est tout l’avant de l’Œuf noir qui s’ouvre.

Le moteur est électrique, mixte, l'énergie peut être fournie par une petite pile à hydrogène, mais elle est surtout stockée dans des condensateurs rechargeables à une borne électrique. L'autonomie est seulement d’une centaine de kilomètres, mais la recharge des condensateurs est instantanée. Cette recharge peut également se faire par induction fournie par des émetteurs situés sous le revêtement routier. Les émetteurs étant placés aux stops et aux feux tricolores, il a fallu que les Têtes dorées interdisent d’arrêter son Œuf noir quand le feu est vert.

Une troisième possibilité est offerte, plus ludique qu’utile, elle permet plus de faire du sport que de recharger les condensateurs d’un Œuf noir. Les manœuvres s’effectuant toutes avec une main, le conducteur dispose de ses pieds pour pédaler, comme il le ferait sur un vélo d’appartement.

     La garde au sol est variable en fonction de l'état de la route et de la vitesse. L'état de la route est anticipé par des capteurs, la garde au sol augmente s'il y a des aspérités, des obstacles, des déjections canines, etc. Elle diminue en fonction de la vitesse.

     Le revêtement du pneu est végétal, plus exactement bionique, inspiré des soies des pattes du gecko.

Un lichen a été génétiquement modifié pour que sa surface extérieure soit constituée de micro villosités terminées par des micros spatules, elles mêmes constituées par des polymères d’acides aminés hydrophiles et hydrophobes. Cet assemblage de polymères permet une excellente adhérence car même mouillée, une route goudronnée reste majoritairement hydrophobe.

La carcasse du pneu est constituée de fibres d'une technologie semblable à celle du moyeu de la roue. La forme du pneu est asservie et modifiable en fonction de l'état de la route et l'usure du pneu. Par temps pluvieux le pneu se ride pour mieux évacuer l'eau.

Ces pneus sont très efficaces mais s'usent rapidement. Toutes les nuits, ou sur le parking du bureau, le pneu est régénéré. Le véhicule se hisse sur ses quatre petites roues pour libérer la grande roue, qui adopte une rotation très lente. Après un diagnostic de l’état du lichen, le système de régénération se met automatiquement en marche. Il consiste à fournir des nutriments et, si l’éclairage naturel n’est pas suffisant pour la photosynthèse des algues symbiotiques du lichen, un peu de lumière de longueurs d’onde adaptées est envoyée.

En cas d’accident, et c’est pour cela que la ceinture de sécurité est un vrai harnais de pilote de course, l’Œuf noir roule sur lui-même, la plasticité de la carrosserie et des cristaux liquides qui la constituent amortissent les chocs.

 

Si l’Œuf se retrouve sur le côté ou même sur le dos, les quatre roues se déplient rapidement pour remettre le véhicule dans sa position normale comme un scarabée qui a été renversé.

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Les Œufs noirs ne sont pas vraiment autonomes mais ils peuvent s’agglomérer en « train » de véhicules qui se font et se défont en fonction de la destination de chacun.

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L’aide à la conduite est gérée par une Gertrude.

Gertrude est un ordinateur dont la mémoire centrale est à champs plastiques et probabilistes [comme pour l’Intelligence Biophysique] et les mémoires ancillaires sont à champs binaires, classiques des ordinateurs de jadis.

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Certaines routes permettent une conduite automatique, mais comme la fiabilité des voitures autonomes n’a jamais pu être totale, la vigilance reste de rigueur.

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Les dernières versions de Gertrude permettent une prise en charge cognitive, non seulement du conducteur, mais aussi de l’état mental des conducteurs des véhicules périphériques.

Un conducteur, qui deux Œufs noirs devant, a tendance à somnoler vous est signalé comme potentiellement dangereux, ainsi que l’énervé impatient qui est juste derrière vous.

Bien entendu, toutes ces informations sont transmises en temps réel aux Gertrude des services de renseignement des Têtes dorées.  

Se sachant surveillés, les gens deviennent plus gentils, plus conformistes.

Mieux que le fit jadis l’Église, la permanence de la surveillance était devenue réelle et constante ; elle était un instrument de servitude et de dépersonnalisation plus efficace que les transports en commun.